vendredi 6 août 2010

La reconstruction d'Haiti : une aubaine pour qui ?



Voici un article que j'ai écris pour un journal local en juin dernier. Je rédigerai un "update" de la situation un peu plus tard.




Kick 'em while they're down
La stratégie suicidaire du président Préval et l'opportunisme cynique de Bill Clinton



Cela fait maintenant cinq mois que les deux violents séismes, du 12 et 20 janvier 2010, ont secoué Haïti. Selon le bilan [provisoire] établi le neuf février par la ministre des communications d'Haïti, Marie-Laurence Jocelyn Lassegue, plus de 230 000 personnes sont mortes, 300 000 se sont blessées et plus 1,2 millions se retrouvent sans-abris. Des milliers d'autres n'ont pas accès à la nourriture et aux soins élémentaires. Les missions humanitaires, venues de France, des États-Unis et d'ailleurs, ont pour la plupart déjà plié bagage et effectué leur retour au pays. Les grands médias ne parlent déjà plus de la crise humanitaire et sanitaire qui sévit, comme si l'urgence qui caractérisait la situation il y a quelques mois était déjà passée, comme les désastres naturels qui ravagent l'île de manière cyclique. Pourtant, les mécanismes de reconstruction se mettent déjà en place et les Haïtiens, ainsi que la communauté internationale, ont largement de quoi s'inquiéter, voire s'indigner.

C'est à la Commission intérimaire de reconstruction d'Haïti (dit CIRH) – présidée par l'ancien président des E.-U. William J. Clinton – que revient la lourde tâche de reconstruire ce pays dévasté. Elle a d'ores et déjà annoncé son intention de reconstruire le pays et d'apporter du travail aux Haïtiens. Les intentions de ces «humanitaires» sont, bien entendu, motivées par des déclarations d'humanisme et de respect des droits de l'homme. Pourtant, à y regarder de plus près, le respect des droits fondamentaux des Haïtiens ne figure pas en tête des priorités de la feuille de route élaborée par ladite commission.

Tout d'abord, il faut faire mention de la composition de cette commission. Première remarque : aucune personnalité [qu'elle soit physique ou morale] présente ne sera élue par un citoyen Haïtien. C'est avant tout la puissance financière qui déterminera qui siègera sur cette commission. On peut donc se demander quels seront les intérêts défendus par cette commission : l'accès aux besoins élémentaires (santé, éducation, nourriture, logement) des Haïtiens durement touchés par les séismes, ouragans et cyclones en chaine depuis ces quelques dernières années, ou la maximisation des profits de certaines grandes institutions financières et multinationales occidentales ?

Ensuite, il faut voir quelle sera la responsabilité juridique de cette commission, supposée travailler pour les Haïtiens. En un mot, elle sera nulle. En effet, le président René Préval n'a pas attendu longtemps pour faire voter [en force] une loi d'urgence par le parlement haïtien. Mais, au juste, qu'est-ce qu'une loi d'urgence ? C'est tout simplement une mesure qui suspend les libertés fondamentales des citoyens et accorde une compétence de décision absolue à l'autorité qui l'implémente. Pour prendre un exemple de précédent historique, rappelons-nous que l'île de Taïwan a déjà connu situation similaire, bien que dans des circonstances un peu différentes. En 1949, après la guerre civile chinoise opposant les communistes de Mao et les nationalistes de Tchang kai-chek, ces derniers, vaincus, se sont réfugiés sur l'île de Taiwan. Dès leur arrivée, une loi martiale a été mise en œuvre afin de «reconstruire» l'économie du pays. De 1947 à 1987, les habitants de l'île ne bénéficiaient d'aucune liberté et d'aucun droit élémentaire. Bien que l'on parle de «miracle économique» taïwanais, plus de 28 000 personnes ont soit été assassinées par la répression du pouvoir politique, soit ont disparu, naturellement sans aucune explication. Il est malheureux de constater que la loi d'urgence votée par Préval peut permettre, puisque les mécanismes 'juridiques' sont les mêmes que la loi martiale de Tchang, au pouvoir politique de procéder de la même manière que le fit le pouvoir taïwanais pendant exactement trente ans.

Le président Préval a indiqué que voter cette mesure est une nécessité afin de laisser la commission travailler en toute liberté. Dit de manière simple, cela signifie que les membres de la commission ne seront pas responsables juridiquement de leurs actions. Aucun dégât environnemental, aucune atteinte aux droits fondamentaux des citoyens de même qu'aucun abus de pouvoir (quel qu'il soit), ne seront soumis à une enquête parlementaire, et encore moins à une décision de justice. Ainsi, la commission présidée par Bill Clinton aura carte blanche pour opérer de la manière qu'elle souhaite.

Le peuple haïtien, qui a manifesté dans les rues de Port-au-Prince ainsi que dans d'autres grandes villes du pays, a bien compris qu'il s'agit d'un transfert de souveraineté de l'État vers une entité étrangère. Le président Préval a affirmé le contraire, insistant sur le fait que cette commission allait apporter du «travail» aux Haïtiens. La question qui se pose à l'heure actuelle est toute simple : combien d'Haïtiens se préoccupent de la situation de l'emploi, compte tenu des dégâts engendrés par ce dernier séisme meurtrier ? Comme indiqué ci-dessus, tant que leurs besoins élémentaires ne seront pas satisfaits, il est presque inutile de parler de «croissance» et d'«emploi».

De plus, le président Préval n'a pas pris la peine d'expliquer ce qu'il entend par le terme de «souveraineté». Bien que ce terme ait fait l'objet de nombreuses théories politiques depuis le XVe siècle, on peut néanmoins apporter une définition toute simple, tirée du Grand Robert : la souveraineté, c'est «l'autorité suprême», celle qui décide en dernier lieu. En France, cette autorité suprême est partagée entre trois organes : le pouvoir exécutif [le président et le gouvernement], le pouvoir législatif [l'Assemblée nationale] et le pouvoir judiciaire [Conseil constitutionnel]. Ainsi, tout abus de pouvoir peut, théoriquement, faire l'objet d'une enquête plus ou moins impartiale et aboutir à une condamnation ou, le cas contraire, à un acquittement. En Haïti, en revanche, la loi d'urgence rend cette séparation des pouvoirs, déjà fragile du fait de l'instabilité politique du pays, caduque. Le parlement n'aura plus le pouvoir d'approuver ou de sanctionner les décisions prises par l'exécutif, puisque le président a lui-même délégué ses pouvoirs à la CIRH. Les forces armées restent sous la responsabilité du président mais, au lieu de servir à la protection de la Constitution et des droits des citoyens, elles seront mises au service de Bill Clinton et de ses associés. Peut-on encore parler de souveraineté de l'État Haïtien ? Non, selon les députés de l'opposition, qui ont refusé de voter en faveur de cette loi d'urgence et dénoncé son passage en force.


                                                                                                   Ti Polo

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Ti Polo